Une fille dans la jungle by Delphine Coulin

Une fille dans la jungle by Delphine Coulin

Auteur:Delphine Coulin [Coulin, Delphine]
La langue: fra
Format: epub
Tags: BIB Litt. Générale
ISBN: 9782253074427
Éditeur: Éd. Grasset
Publié: 2017-08-22T22:00:00+00:00


Seuls deux Égyptiens, Coyote et la Hyène, étaient restés au camp, assis sur leurs talons près du feu qu’ils avaient allumé dehors, tandis que les autres étaient partis « travailler » avec Chef, qui n’avait pas voulu donner de précisions. Hawa, muette depuis qu’ils s’étaient installés avec eux, les regardait à travers ses paupières mi-closes, devinant dans le silence partagé entre tous que chacun, même Milad, s’interrogeait sur les avantages et les inconvénients à rester partager cet espace avec eux.

Ils avaient vite pris les habitudes des Égyptiens, et il pouvait se passer des heures sans qu’ils prononcent une phrase, seulement des onomatopées, des prénoms, des grognements, des cris. L’ambiance était tendue, mais ils avaient plus chaud, ce qui était décisif : la nuit, entassés à douze dans le petit abri, ils avaient mieux dormi, malgré la puanteur et le peu d’espace, et même ceux qui avaient dû passer la nuit assis s’étaient réveillés moins fourbus qu’après une nuit raidis par le froid.

Elle avait pensé au roi des rats dont on lui avait parlé dans la jungle : une dizaine de rats qui avaient grandi dans une tanière ensemble et s’étaient retrouvés inextricablement liés par les queues, enchevêtrées a jamais et liées par la boue, les excréments et le sang, au point qu’ils ne pouvaient pas se déplacer individuellement et dépendaient les uns des autres pour se nourrir, devenant un seul organisme vivant. Le roi des rats. Un monstre.

La journée non plus, ils n’hésitaient pas à faire du feu – alors que Milad avait toujours considéré que c’était trop risqué, mais ils étaient toujours un ou deux de garde, aux aguets devant le trou.

Hawa regardait vers la route et se demandait à quel moment elle pourrait s’élancer vers un camion, à quel moment elle trouverait la faille pour passer à travers les mailles du filet, à qu'elle occasion une chance s’offrirait à elle. Dans ce désert, chaque mouvement, même infime, chaque changement minuscule était immédiatement décelé par son œil exercé.

Jawad, lui, jouait à attraper les pointillés qui flottaient dans l’air. Il ne s’éloignait pas du feu. Coyote s’agitait d’un bout à l’autre de l’abri, arpentant le petit espace, alimentant les flammes, recomposant la pyramide de bouts de bois, rangeant ses affaires ou celles des autres, faisant chauffer de l’eau dans une bouilloire en métal cabossé qui avait dé traverser la Méditerranée elle aussi, tout cela en boitant légèrement. Elira fixait d’un regard halluciné la buée mouvante au-dessus du feu jaune, un peu dans le vague, comme d’habitude. La Hyène, lui, nettoyait les bottes de tout leur groupe avec application.

Coyote a proposé un thé a Elira, qui a refusé d’un geste.

Ali a tendu son verre aussitôt. Coyote n’avait pas eu le temps de se vexer. Il a monté la théière le plus haut possible et fait de la mousse au bord du gobelet. Le thé fumait dans l’air froid de leur tanière.

La Hyène a sorti de son sac des chaussures de sport blanches qui, si elles avaient marché une minute dans la boue de Calais, auraient changé de couleur comme tout ce qui passait par là.



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